Cagoulé mais pas timide, Euteïka délaisse le mic le temps d'une discussion avec Future Face. L'occasion pour l'artiste, de revenir sur ses projets passés, sa vision du succès mais aussi sur ce qu'il prépare pour l'année à venir, à commencer par ses nouveaux singles. Attachez vos ceintures, ça va aller très vite.
On va commencer avec la question la plus évidente : Pourquoi la cagoule ?
Comme tous les mecs qui portent un masque, si jamais ça fonctionne j’ai envie de pouvoir marcher et faire mes courses tranquille, qu’on ne me prenne pas la tête. Aussi, dans mon entourage, il y a très peu de gens qui savent que je fais de la musique. Ma famille ne sait pas que je fais de la musique, certains de mes amis de longue date non plus. Pour des raisons différentes, mais quand tu écoutes ma musique tu t’imagines bien que je n’ai pas envie qu’ils connaissent cette partie-là de moi.
Qu’est-ce qui a motivé ce secret autour de ta musique pour tes proches ?
Ils me connaissent, mais pas toute ma vie forcément. Et après j’ai des amis qui me connaissent dans un autre milieu, qui ne comprendraient pas forcément. Pour moi, ce qui compte c’est d’avoir une bonne équipe. Et avec le succès, ton entourage a tendance à changer. Je l’ai déjà vécu avec l’oseille, et là on parle juste d’argent, alors quand tu ajoutes le succès, les médias… Je trouve ça horrible la vie des stars, vraiment. Tu me proposes la carrière de Gims, avec tout l’oseille qui va avec, mais en montrant mon visage, je te jure que je ne prends pas.
Tu dis "Quand le succès viendra". Tu considères que le succès n’est pas encore là ?
Je dis succès parce que c’est en lien avec ce dont on parlait, mais mon but ce n’est pas d’être Top 10 France. Bien sûr, comme tout le monde j’aimerais bien. Mon but c’est de pouvoir vivre de la musique, et ce n’est pas encore le cas. Je suis intermittent du spectacle, mais je suis en indé, donc c’est moi qui paye tout. Donc je ne suis pas à 0, je suis clairement en négatif. Mais c’est le jeu de tous les artistes indé, qui n’ont pas assez de visibilité.
Si tu n’écris pas pour ta famille ou tes amis, qui ne savent pas ce que tu fais, pourquoi est-ce que tu écris ?
J’ai toujours écrit. J’ai écrit avant de faire du rap, j’ai commencé le rap tôt mais mes premiers souvenirs d’écriture je devais avoir 10 ou 11 ans, et j’ai commencé à 14 ans à faire du rap. Je le fais pour moi à la base, car c’est un besoin, un exutoire. J’ai arrêté le rap pendant 6 ou 8 ans un truc comme ça, j’ai pratiqué du sport en compétition, et ça a remplacé cet exutoire-là. Quand j’ai arrêté la compétition, je me suis remis à écrire. Ça a commencé comme ça, puis je me suis rendu compte que j’avais besoin de dire des choses, notamment dans Supernova, et à la fin de Satellite je me suis rendu compte que la musique c’est du partage.
Donc tu écris pour les autres maintenant ?
Il faut que je pense aux gens qui vont l’écouter, pas pour modifier ma création mais pour sortir la tête. Personnellement je vais avoir tendance à écrire des choses super sombres et super personnelles, sur une seule partie de ma vie et une partie pas cool, c’est l’exutoire justement. Maintenant j’ai l’impression d’arriver à aborder des sujets plus légers, ce que je n’arrivais pas à faire avant, et à faire de la musique plus pour les gens. La différence entre Supernova et tes nouveaux singles s’est d’ailleurs sentie. C’était vraiment une volonté. Quand on a commencé ce projet d’EPs on voulait aller de l’ombre vers la lumière. Je savais qu’on pouvait le faire musicalement, mais je ne savais pas si dans l’écriture c’était possible. Et en fait je suis grave content du résultat, au-delà du résultat artistique, parce que j’ai grandi avec ces trois EPs. Il y a des choses qui se sont passées dans ma vie, que j’ai comprises, qui m’ont permises de faire un troisième volet plus aéré et léger que les deux autres.
Supernova c’était la fin d’une trilogie débutée par Décollage et Satellite. Des EPs qui marchent ensemble, trois étapes… Est-ce qu’on peut dire que les projets simples ne sont pas ta came ?
Moi j’aime bien les trucs casse-tête. Parfois on met des références dans nos visuels en pensant que personne ne va capter. J’ai fait un premier clip [celui de "Singe Savant", sorti il y a cinq ans ndlr.] en stop motion, et je l’ai revu il n’y a pas longtemps. J’avais oublié carrément qu’on avait mis une façade d’immeuble avec un bar qui s’appelle "Néon Rose", qui est un morceau qui est depuis longtemps dans mes tuyaux [depuis sorti dans Supernova ndlr.], donc on l’avait mis là, et en fait y’a plein de petites références que les gens ne comprendront pas forcément, mais ça fait partie de ma démarche artistique de me casser un peu la tête sur tout ça.
Tu es un artiste masqué, qui n’est pas amateur de projets simples… Comment est-ce que tu construis ton esthétique ?
J’ai la chance d’avoir Adri de Shepercrew qui gère mon image depuis le début. C’est un ami de la vraie vie à la base, il est super fort et surtout il a plein de gens qui gravitent autour de lui. Des pilotes de drones, des monteurs, des mecs qui gèrent la post-production, des réalisateurs. Sans lui et sans toute cette équipe je n’aurais rien pu faire. On se prend la tête sur des trucs, et comme il me connaît depuis longtemps il sait exactement ce que j’aime. On aime un peu les mêmes choses, on est fous de cinéma tous les deux, donc c’est assez simple, ça se fait facilement.
C’est lui qui a dirigé ton premier clip ?
C’est grâce ou à cause de lui que je fais de la musique aujourd’hui. Quand j’ai recommencé à faire du rap, il voulait faire un projet avec un pote qui s’appelle Rémi Brissaud qui fait du stop motion, donc les trois clips en stop motion c’est lui qui les a faits. Au départ ils voulaient faire un truc en stop mo pour kiffer, moi je venais de commencer à enregistrer des morceaux, ce qu’ils ne savaient pas, mais je leur ai dit que j’avais des sons et qu’ils pouvaient piocher dedans pour faire un clip. Ils l’ont fait, le clip est chanmé, on a été sélectionné au Printemps de Bourges. Mais sans ce clip-là, j’aurais continué à faire du rap dans ma chambre. Je ne me disais pas que j’allais tenter une carrière, vraiment pas.
C’était un peu un pari alors ?
Même pas, ça s’est fait comme ça. C’est un ami qui m’a conseillé de candidater. J’ai envoyé un dossier à l’arrache, parce que je partais quelques heures après à l’étranger pour plusieurs mois. Finalement on a été sélectionné pour les auditions régionales et j’ai dû rentrer en catastrophe. Finalement on a eu des bons retours de la part des pros, mais c’était une bouteille à la mer ! Aucune démarche dans tout ça, je voulais juste enregistrer mes morceaux après avoir recommencé à écrire. C’est un enchaînement de choses qui n’était pas volontaire au départ.
Dans Supernova tu parles de la fin d’un cycle. Est-ce que tu en commences un nouveau avec les nouveaux morceaux que tu as sorti ?
C’est vraiment la fin d’un cycle personnel, que je ressens plus dans ma vie que dans ma musique, mais bien sûr que tout le travail fait dans Supernova m’a permis de faire "CDG". Ce n’est pas le type de morceaux que je faisais avant, ou quand je les testais ce n’était pas terrible. J’ai su me séparer de plein de choses. Et il y a aussi un travail qui est très important qui se fait cette fois avec les beatmakers qui m’ont beaucoup fait travailler sur le fait d’aérer les couplets, les refrains. Je suis un kicker, c’était mon école, et comme leurs prods sont très musicales avec beaucoup de nappes, c’est grâce à eux que je ne crains plus le vide. Beaucoup d’artistes l’ont, et essayent de le remplir. De rappeurs surtout je pense.
Dans tes morceaux tu cites des choses assez éloignées. Quelles sont tes inspirations, tes références ?
Je ne sais pas. J’ai des images qui me viennent et je les note, mais ce n’est même pas une volonté de mettre des références, c’est juste que quand j’écris ça vient. C’est difficilement explicable, et je pense que c’est le cas pour tous ceux qui font des choses artistiques. En général c’est tiré de choses qui m’ont embarqué. Banksy par exemple je kiffe sa manière de faire des choses. Je souvent référence à des films, parce que je suis bousillé de cinéma. Mais je ne les cherche pas particulièrement.
Tu ne fais pas beaucoup de featurings. Tu es un solitaire ?
J’en ai fait deux, un avec un groupe canadien qui s’appelle The Lyonz parce qu’on était signé dans le même label, qu’on s’entendait bien humainement et que j’aimais beaucoup leurs sons. Et un deuxième avec Laskars Dem, que je n’ai jamais vu dans la vraie vie. Il m’a contacté et on s’est longtemps eu au téléphone. J’ai bien aimé sa démarche et sa gamberge, c’est un mec de dehors comme moi et qui fait tout seul. Après j’en ai refusé beaucoup, et je n’ai pas cherché à aller vers d’autres gens parce que pour moi c’était important de poser mon univers d’abord, que ce soit un visuel et musical. Et puis il y a la cagoule, c’est du rap pour des gens qui aiment le rap, même si la musique que je propose s’élargit de plus en plus. Donc pour moi c’est important de mettre tout ça bien en place et de savoir où je vais, mais maintenant c’est quelque chose que j’ai de plus en plus envie de faire, donc 2024 on va s’y atteler.
C’est quoi la suite pour toi, maintenant que tu sors de nouveaux morceaux ?
Là on va continuer de faire des singles jusqu’au printemps. C’est plus simple de faire des singles, et c’est plus agréable, on n’a pas besoin de se bloquer six mois, c’est plus instantané, ça fait du bien. Jusqu’au mois de mars, voire jusqu’en avril ou mai on va rester sur des singles, et au printemps on va sortir des choses pour un projet, comme un EP ou une mixtape.
Donc pas encore d’album ?
Non, parce que je me connais et je sais que le jour où je vais me dire ‘Ça c’est mon premier album’, je vais beaucoup me casser la tête dessus et j’aurais un minimum d’attentes. Je n’ai pas envie de le drop dans le vide en ayant mis toute mon âme là-dedans. J’ai envie que les gens m’écoutent, donc tant qu’il n’y en aura pas suffisamment je ne ferais pas d’album.
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