A force de vouloir percer, on oublie souvent que la musique est avant tout un jeu de notes et de sonorités. Un jeu qu’Aigon, jeune nîmois installé à Toulouse, a décidé de ne pas oublier. Il le met ainsi au centre de son nouvel album Chat Perché. Un projet coloré, complet, que l’artiste décrit comme total. Et pour cause, avec 14 titres l’artiste s’amuse avec tous les genres, tous les styles et toutes les langues : celle de Molière, de Shakespeare mais aussi celle de l’amour et celle de l’EDM. Emportant dans une partie de chat endiablée tous ceux qui ont la chance d’écouter ce projet, Chat Perché s’impose comme un album à ne pas manquer pour qui aime la musique. Et chez Future Face, vous le savez, on ne passe à côté d’aucune pépite. On a ainsi pu parler de ce projet pas comme les autres avec Aigon : Bam, c’est nous le chat.
Avec Chat Perché tu reviens sur les ondes, plus d’un an après ton EP La Chasseuse et deux ans après D’Alcool, ton premier album. Qu’est-ce que ça fait sortir de nouveau de la musique ? Et pourquoi avoir attendu autant de temps avant de présenter un nouveau projet ?
J’ai vite arrêté d’être content du premier album, donc j’ai rapidement enchaîné sur un deuxième projet, l’EP. J’en étais satisfait, et je trouvais que c’était une carte de visite acceptable, dont je n’avais pas honte. Après ça, Je n’ai pas ressenti d’urgence à présenter quelque chose pour actualiser ma page et montrer ce que je suis. J’ai trouvé que j’avais le temps de faire un gros projet qui représenterait musicalement ce dont je me sens capable. Maintenant, ça fait partie du passé et je me projette sur la suite, avec la dernière carte de visite en date qui est Chat Perché. Et ce sera ça tant que je n’aurais pas trouvé un meilleur projet.
Pourquoi avoir appelé cet album Chat Perché ?
Pour mon chat Jérôme (rires). Non, ce n’est pas vrai. Le chat perché c’est une image que j’aime bien parce que c’est un jeu auquel on est beaucoup à jouer en général. On se perche pour fuir. C’est évidemment la métaphore de la drogue, mais peut en découler plein d’autres images : le côté ludique, le côté enfantin – on entend d’ailleurs des enfants jouer au début de « Règles du jeu ». Et il y a le côté nature, qui est présent dans tout l’album. C’était le titre évident, le titre total. Chaque son et thème de l’album peut y être rattaché, c’était une évidence.
Tu places d'ailleurs ce morceau en track d’intro, morceau avec les crédits de ton projet. En général, et au cinéma notamment, les crédits se trouvent à la fin, donc pourquoi les avoir mis en premier ?
Parce que ce sont les règles du jeu, et on annonce les règles du jeu au début de la partie. Et puis c’est inspiré du Mépris de Jean-Luc Godard, qui fait la même chose dans son film, il fait son générique à l’oral au début du film. J’ai toujours trouvé ça très cool, et je ne l’ai jamais entendu dans un autre album. J’ai tout piqué à Godard.
Est-ce que la musique c’est un jeu pour toi ?
Oui bien sûr. Autant le cinéma je sais que je vais en faire mon métier, autant la musique… J’ai des choses à dire et des choses à faire donc je les fais, mais je ne me vois pas du tout comme un professionnel de la musique.
On sent qu’il y a une évolution dans ta manière de créer entre tes différents projets depuis D’Alcool…
J’ai rencontré Martin Thiry, l’ingénieur son de cet album, qui est devenu un très bon ami, et qui m’a permis de partir dans toutes les directions sur lesquelles j’étais brimé et frustré avant. Des directions de genre qui m’intéressaient beaucoup, comme le bon vieux folk anglo-saxon à la « Sixteen », un peu de niche, que je n’osais pas essayer parce que je manquais de technique, ou bien des morceaux beaucoup plus orchestraux et rock. Je sais jouer de tous les instruments qui sont dans l’album, c’est moi qui les joue, mais je ne les avais pas à disposition, je ne savais pas comment les mixer… Donc j’en restais à quelque chose de très simple : je prenais une prod de rap et je posais dessus. Ensuite un gars me faisait un mix à la va-vite. J’en serais resté là si je n’avais pas rencontré Martin et qu’il ne m’avait pas montré tout ce que je peux explorer.
On en revient à la musique pensée comme un jeu...
En cela cet album sert à montrer tous les aspects musicaux que j’ai en moi. Je ne voulais pas faire quinze morceaux dans un même genre. J’ai le droit de diversifier, donc je le fais. Et ça me permet de m’en débarrasser : maintenant que j’ai fait un morceau de folk je ne ressens plus l’obligation de le faire. Et à chaque fois que j’écouterai un son dans ce thème-là, je ne me demanderai plus quelle addition j’aurais pu y faire. Dans le prochain projet par exemple je sais que je pourrai maintenant me concentrer sur un genre musical et l’explorer à fond sous toutes ses formes.
Au-delà des genres musicaux, on sent qu’il y a beaucoup de références différentes dans ton album. Qu’est-ce qui t’inspire pour arriver à ta musique ? Dans quoi est-ce que tu pioches ?
C’est une thérapie. Je ne vais piocher dans rien, il y a tout qui s’accumule sans forcément que je le conscientise et à un moment ça pète et ça donne naissance à un texte ou une mélodie. Si c’est un texte, je vais le laisser reposer jusqu’à avoir une mélodie. Si c’est l’inverse, je vais avoir une mélodie en tête pendant peut-être des années jusqu’à trouver les bonnes paroles. Je traîne certaines mélodies et certains textes depuis le lycée, j’attendais le bon moment pour les enregistrer.
Quel morceau par exemple ?
Le morceau « Aigon » ! Si je m’appelle Aigon c’est parce que c’est le tout premier texte que j’ai écrit à la guitare. Évidemment, il est assez loin de ce que j’avais en tête à 15 ou 16 ans.
Tu avais quelle idée pour la construction de l’album ?
C’était un travail d’orfèvre. Si on le regarde bien, le début et la fin de l’album ne parlent pratiquement pas de filles, alors que le cœur de l’album parle exclusivement de ça. Je voulais donner une très grande place aux filles, et que chaque morceau raconte une histoire avec un début, un milieu et une fin. Avec « Aigon », on découvre le début d’une relation ; avec « Sixteen » on apprend que ce garçon est fou amoureux de sa copine mais qu’il pense à une autre fille ; dans « Doudou » la relation va bien ; et dans « Bouteille à l’amour » c’est la fin de la relation. Il y a un squelette, mais avec un début et une fin qui ne parlent pas d’amour pour montrer que l’amour a une place importante dans ma vie, mais pas seulement.
C’est-à-dire ?
Au début je place notamment « Chat Perché », morceau dans lequel je vais parler de tous les autres thèmes. A la toute fin je parle du cancer de mon père. Dans « Règles du jeu » je vais parler de tous ces thèmes, dont l’amour, et pour cause il y a mon ex-copine qui participe à l’album avec moi. J’évoque tout ça, mais je dis qu’il n’y a pas que ça, que l’important ce n’est pas que ça.
En parlant de ton ex-copine, tu as fait participer beaucoup de monde dans cet album. Ce n’est pas commun pour un artiste de s’effacer derrière d’autres, de leur laisser sa place.
Je ne sais pas, je ne suis qu’un artiste parmi tant d’autres. Mais, de profession, je suis un réalisateur, et par définition ça demande de faire participer les autres. Tout ce que j’ai fait jusqu’ici, et notamment mes films, je l’ai fait pour les autres, en imaginant les autres. J’ai conscience de ce que je suis capable de faire, de ce que je sais chanter ou pas. Un son comme « Mec je me suis drogué pour toi » je sais que je peux le chanter, mais ce ne sera pas beau, ce ne sera pas intéressant. Je connais mes amis et je sais ce qu’ils ont d’intéressant à apporter, et à l’avenir je ne vois pas un projet que j’aimerais faire avec un professionnel que j’aime bien sans que ça ait du sens. Faire du son avec mes amis ça a du sens parce que je sais ce qu’ils peuvent m’apporter, et je vais le prendre et le mettre au service de ma musique.
Tu peux nous parler des featurings de Chat Perché ?
Dans cet album je n’ai pu faire participer que cinq personnes, mais c’étaient cinq morceaux où c’était pertinent. J’ai une multitude d’autres amis qui vont apparaître entre les clips et les morceaux que je vais réaliser, parce qu’il y a toujours quelque chose d’intéressant à aller chercher. Mais je ne fais pas des feats pour faire des feats. Et puis mes amis sont les gens qui m’entourent, ils savent pourquoi j’ai écrit mes textes. « Chat Perché » parle de ça, « De belles choses » aussi : ils parlent du fait qu’on ne fait rien seul. Ce sont des déclarations d’amour sur l’amitié.
La collaboration avec tout le monde s’est bien passée ?
Il y a toujours de légères frustrations. Mais les cinq feats que je fais sont les sons dont on parle le plus depuis la sortie de l’album. Je me dis que j’aurais dû en faire plus (rires). Je suis très content de toutes les personnes qui ont participé à l’album, et on ne m’a dit que du bien des morceaux en featurings. J’ai une ou deux personnes qui m’ont dit non, mais je n’en tire aucune frustration, parce que l’album est très bien comme il est.
Il y a quelque chose de très musical dans cet album par rapport à tes précédents projets. Avant c’était plutôt du texte, maintenant tu expérimentes au niveau de la musique. Le texte, c’est fini pour toi ?
On a encore trouvé le moyen de me reprocher de trop écrire dans cet album, alors que j’ai l’impression d’avoir laissé la part belle à la musique. Je crois comprendre que c’est parce que tout le monde se foutait de mes deux premiers projets, et les gens en général ne faisaient pas attention aux paroles en première écoute, donc il faut intéresser le public par la musique pour qu’il fasse attention aux paroles. Mes premiers projets, je vomissais mes textes sur des instrus qui n’étaient pas les miennes, et forcément ça n’intéresse personne. Avec Chat Perché je laisse plus de place à la musique, et j’ai volontairement rendu des textes moins intelligibles, comme « Week-end », parce qu’encore une fois l’écriture est une thérapie et j’ai besoin d’en parler, mais c’est très intime et je n’ai pas forcément besoin que les gens l’entendent.
Tu veux qu’on t’écoute, mais pas qu’on te comprenne ?
Quand on écoute du Daft Punk par exemple, on écoute la musique mais on ne comprend pas ce que les gars ont voulu dire, et ce n’est pas un problème. Pour autant, j’aborde quand même énormément de thèmes, parce que je reste moi et que mon identité c’est l’écriture, quel que soit le médium. Donc le texte n’est absolument pas fini. Et même si je n’écris presque pas, ou que je n’écris pas du tout, comme dans « En attendant de jours meilleurs », le titre sera très écrit. Avec Martin j’ai pu expérimenter un peu de tout, et dans ce cas le texte doit être servi au mieux par la musique. Mais jusqu’ici peut-être deux personnes m’ont parlé du texte, du fond, de l’album. Sinon, on m’a principalement parlé de la forme. Et je l’ai accepté.
Je sens quand même beaucoup d’émotions dans ta manière d’aborder les retours de ton album…
C’est le seul moyen de survivre. Quand on passe un an à enregistrer un truc, que des sons ont plusieurs années, qu’on a mis sa vie dans un album, et qu’on s’attend à ce que l’album marche, on se tire une balle si les retours ne sont pas ce qu’on espérait, qu’ils soient bons ou mauvais. Je suis très spectateur de ce qui se passe. Je suis investi dans la promo, mais je regarde avec beaucoup de recul tout ce qui se passe depuis la sortie. Je trouve tout amusant, je suis assez serein. Je sais que ce n’est pas ça qui va marcher. Je n’ai pas la prétention de penser que la musique va marcher un jour, mais je sais que si ça fonctionne c’est parce que j’aurais eu un peu de chance, que j’aurais tout fait pour. Mais je ne me mets pas de pression dessus. Je n’ai que 21 ans, c’est mon premier vrai album, ça marchera pour le prochain ou celui encore d’après ou ça ne se fera pas. J’ai toujours dit que si jamais j’arrive à toucher une personne avec mes morceaux c’est déjà ça. Donc je prends tout comme du bonus. Chaque nouvelle personne qui me dit qu’elle a aimé un morceau je prends, et je fais mes analyses ensuite.
Deux semaines après la sortie de l’album, quelles premières analyses tu tires ?
Par exemple « Chat Perché », le son éponyme de l’album, que j’ai clippé et que je voyais comme un tube n’est même pas dans le top des morceaux les plus écoutés de l’album sur Spotify. Et de voir que « Happy Song » est l’un des morceaux qui marchent le mieux alors que je n’en étais pas du tout sûr, je trouve ça trop drôle. Je constate que je me suis planté, et que je ne suis pas le premier ou le dernier à le faire.
Cet album c’est ta nouvelle carte de visite musicale : tu en espères quoi ?
Je veux lui laisser la chance d’exister un petit peu. Comme tout mec qui fait de la musique je l’ai tellement entendu, à force de le masteriser et de le mixer, que j’ai hâte de passer à autre chose. Mais je vais quand même m’astreindre à lui donner toutes ses chances, pour pouvoir d’un côté me former à toutes les étapes pour le jour où ça marchera, mais aussi parce que ce ne serait pas juste envers le moi du passé et envers l’album de penser que ça ne va pas marcher. Donc je vais tout faire : les impressions CD, les impressions vinyles, je vais le jouer sur scène, en parler autour de moi, faire des posters, faire des clips, en parler le plus longtemps possible avant de passer à un autre projet. Je suis très serein. Peut-être que je vais me confronter à des murs mais on va essayer, je suis très curieux.
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