Senamo, le brouilleur de pistes

Senamo, le brouilleur de pistes

Crédits : DR

En pleine promotion de son nouvel album, Un cauchemar avant le jour d'après, Senamo quittait en mars dernier Bruxelles pour se rendre à Paris. Loin de ses monstres, l'ancien de La Smala rencontrait Future Face pour décortiquer sa musique et son nouveau projet. Et vingt ans de rap, ça ne se résume pas facilement.

"Je viens d’une époque où le fait d’être blanc et de rapper, c’était déjà connoté d’une certaine manière." Il y a du Charles Aznavour chez Senamo, lorsqu’il se rappelle ses débuts dans la musique, il y a vingt ans. Je le rencontre alors qu’il sort son nouveau projet, Un cauchemar avant le jour d’après, retour en solo du gamin prodige de Forest sur la scène musicale, trois ans après son dernier album. Attablé dans un café parisien typique tandis que les beaux jours commencent à se pointer, il fait tache au milieu du zinc et des travailleurs qui déjeunent. Tout de noir vêtu, il semble pourtant à l’aise loin de sa Belgique natale, prêt à en découdre avec Paris, pour présenter son nouvel album, son "exutoire".

Derrière lui, une longue carrière

Senamo, c’est avant tout un fan des "choses culturelles en général", tombé dans le rap à 14 ans. Rien ne le prédestinait pourtant à suivre ce chemin de vie. Étudiant aux Beaux-Arts une fois sorti de l’enfance, il s’imaginait plutôt dans une carrière de dessinateur. Faisant du graff, de la peinture et du dessin, celui qui ne s’arrête pas "sur une forme d’art" pour booster sa créativité se passionne finalement pour la musique. La faute à Internet, selon lui. À l’époque, le rap dépasse les frontières françaises, et quitte ses cités parisiennes et marseillaises pour prendre d’assaut Bruxelles. "Tous les gens pensaient que Bruxelles c’était un village, et que les Bruxellois étaient des campagnards. Internet a permis qu’on échange, qu’on partage avec les autres." Et lorsqu’il entend pour la première fois James Deano rapper sur BXL, sa réalité et ce qu’il connaît, les dés sont jetés. "Ça nous a vrillé le cerveau", confie-t-il. Senamo se lance dans le rap, et ne s’arrêtera plus.

Vingt ans plus tard, il peut se vanter d’avoir une carrière éclectique, pleine de virages et de changements, pour ne pas s’enfermer dans des cases. Resté solide grâce à son public d’"irréductibles", l’artiste n’a pas peur de "brouiller les pistes" pour sortir des étiquettes qu’on a pu lui coller, il sait qu’on le suivra. "Ça reste une fierté de me dire que j’arrive à faire évoluer les choses et qu’il y a quand même de l’intérêt qui est suscité". Habitué des critiques à chaque nouvelle identité sonore qu’il adopte, Senamo ne s’inquiète pas. "À chaque fois que je prends une direction aussi éloignée, ça élargit mon champ des possibles, et ça enlève tous les cloisonnements dans lesquels on a pu m’enfermer." Et avec son nouvel album, Un cauchemar avant le jour d’après, le rappeur effectue un véritable virage, en beauté.

Un nouveau projet, étrange

Rien n’est fixé dans sa musique : tout est une question de sensations. "Il faut fédérer autour de ton ressenti, pas pour une mouvance." Avec son nouvel album, Senamo revient à ses débuts, loin du boombap et de l’électricité de ses précédents projets. Après trois ans sans avoir rien dévoilé, c’est dans le rap triste qu’il revient dans nos oreilles. Le 21 mars dernier, il annonçait son album Un cauchemar avant le jour d’après, bien loin des gammes posées sur Fuku X Sena ou dans Melon Soda. "Le rap triste, c’est un peu là que j’ai fait mes classes. C’est là-dedans que je m’exprime le plus facilement, car je trouve plus facile de parler d’une situation triste ou douloureuse que d’un moment de joie. Je préfère le vivre que le raconter." De son nouveau projet, il parle d’un "truc en noir et blanc, un peu dans le style horreur, un peu cringe". Des adjectifs qui transforment cet album de huit titres en un étrange monstre attachant, à l’image d’Édouard aux mains d’argent, que le rappeur cite comme l’une de ses inspirations. Sur ses influences, Senamo évoque tour à tour Junji Itō ou Tim Burton, choisis pour "leur manière de reconstruire, de recréer des codes, et de se mettre dans des situations où l’esthétisme et la beauté ne sont perceptibles qu’à travers un certain prisme".

 

Il y a de ça, dans l’album de Senamo. Un peu dark, un peu cringe, sombres à première vue, les morceaux se succèdent pour faire apparaître la lumière qui les transperce. S’ils sont tristes, ils parlent surtout d’espoir : celui de la reconstruction, de l’après. Pour capter les strates de ce projet, une seule écoute n’est pas possible, il en demande plusieurs. Pour tantôt découvrir les textes, puis les mélodies, puis les "messages dissimulés" par l’auteur. Un n véritable travail d’orfèvre, caché dans la volupté pop d’icônes japonisantes. C’est un peu une "foire aux monstres" gentils qui se cache dans Un cauchemar avant le jour d’après. Une farce "néo-gothique" d’après son auteur, qui réunit l’amour, la perte et la tristesse en quelques morceaux, pour en faire une solution universelle. "C’est un remède à mes addictions, à mes tristesses, mes déceptions, à ma rage. C’est un remède à mon spleen !"

Le besoin de faire du "rap franc"

Finalement, pour Senamo, la musique n’est rien d’autre qu’un terrain de jeu. Véritable bouée face à ses tristesses, le rap est une porte de sortie loin de la réalité. Ce qui importe alors, c’est d’en faire l’issue la plus authentique possible. Est-ce que ce serait ça, faire du rap conscient ? Pour Senamo, il est plutôt question de faire du "rap franc", car "ce qui compte, c’est la profondeur des choses." Creusant sans cesse pour tirer son épingle du jeu tout en restant vrai à ses valeurs et ses envies artistiques, Senamo apporte la profondeur nécessaire à chacun de ses morceaux, pour s’assurer qu’ils résonnent avec qui les entendra. Devenu une sorte de magicien musical, le rappeur renouvelle sa magie dans Un cauchemar avant le jour d’après, à cent mille lieues de là où on l’attendait. Et ce n’est pas surprenant pour cet artiste versatile et passionné.

On ne peut que s’incliner face à l’ampleur du projet, qui devrait bientôt s’étendre à d’autres sphères. En plus des concerts à venir, Senamo espère proposer une expérience inédite mais intimiste, en associant ses deux passions : la peinture et la musique. Une exposition de dix tableaux, "suite visuelle de l’album", sera bientôt organisée, avec rencontre et showcase à la clé. Fini le silence pour Senamo, il ne "s’arrêtera jamais" de créer.

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Auteur : Mathilde

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